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Episode 4 : La haine, la rage
Nous poursuivons cette série d’épisode sur les ressentis des victimes d’inceste, une série, qui rentre dans ce que la victime d’inceste vit au plus profond d’elle-même, au-delà des chiffres.
J’ai la haine, j’ai la rage : c’est le thème de l’épisode d’aujourd’hui.
C’est ce que j’ai ressenti, moi aussi, la haine, ou en l’occurrence plutôt la rage. Et il m’a fallu du temps pour comprendre profondément ce à quoi ça correspond, au-delà de la colère.
- J’ai compris que, derrière la haine, la rage, se trouvent des ressentis mélangés, de détresse, d’angoisse, de désespoir, de vulnérabilité et d’impuissance.
- J’ai compris aussi que ces ressentis étaient trop douloureux à sentir, et ressortaient sous cette forme de rage, de haine, mais sans être véritablement digérés évacués régulés.
- Et j’ai compris, que finalement, cela me maintenait dans le même état, sans défense et sans reconnexion à ma puissance.
- Et enfin que tout cela parle de liens, de trahison des liens les plus premiers.
Et c’est ça que je vais vous partager et vous expliquer dans cet épisode.
Bienvenue dans le quatrième épisode : J’ai la haine, j’ai la rage. Quatrième épisode de la 2ème série sur les ressentis du traumatisme du Podcast Traumatisme & renaissance, l’inceste, par Hélène Dujardin
J’ai la haine, la rage, mais de quoi ou contre qui ? Quelle forme ça prend ?
- La haine ressentie est à la hauteur de ou des agressions qui ont été subies, une façon de dire, de dénoncer les violences, une forme de colère viscérale face à une atteinte de son intégrité. Une forme de tentative de se défendre en quelque sorte.
- La haine peut être celle tournée contre l’agresseur lui-même, après l’inceste. Et dans le cas de l’inceste, c’est particulièrement pernicieux, car il y a un mélange de sentiments, un conflit insoluble entre la haine ressentie et l’amour, contre l’agresseur, qui est un membre de la famille. C’est tellement psychiquement inconcevable que cette haine peut également prendre d’autres formes, on va le voir ensuite.
- La haine peut être tournée contre les parents, agresseur ou non, selon la position qu’ils ont prise par rapport à l’agression et à l’agresseur. La parole de l’enfant a-t-elle été entendue par le parent ? a-t-il été cru ? défendu ? soutenu? comment les parents ont-ils réagi par rapport à la famille, à l’agresseur ? ont-ils pris position? Ou ont-ils choisi de ne pas prendre position ? Sont-ils dans le déni par rapport à ce qui s’est passé ? Ya t il un silence qui s’est maintenu ?
- Et cette rage, haine, peut se manifester, se transformer en une rage contre une personne avec qui on a un lien intime aujourd’hui, un compagnon, une compagne, elle peut se manifester aussi contre ses amis, et même contre les autres en général.
- et enfin elle peut se manifester comme un ressenti sourd, sombre, noir, latent, prêt à exploser quand l’occasion se présente. Une forme de sentiment de rage permanent, d’une tension, d’une lutte
- Nous pouvons alors avoir une réaction vive quand qq fait qqch « contre soi », quelque chose qui semble menaçant, insécurise, ne va pas dans notre sens, qui donne le sentiment d’être attaqué.
- alors la rage, haine ressortent : les autres ne me respectent pas, se dit on, les autres m’ennuient (pour le dire poliment). nous pouvons sortir de nos gonds, faire preuve d’impulsivité, de crise de colère. On peut sortir cette rage, cette haine à l’extérieur, contre l’autre.
- Ou nous peut fulminer intérieurement car la colère ne peut pas sortir, elle est très mélangée intérieurement à d’autres ressentis, et c’est très angoissant.
- En toile de fond, il y a un manque de confiance aux autres, perte de confiance en l’homme, en l’humanité. Une croyance selon laquelle le genre humain est mauvais. Une forme de lutte contre les autres
Ce sont là toutes les formes que peuvent prendre la haine et la rage, avec, dans le fond, une cause qui est similaire, l’inceste.
Mais alors que raconte cette haine ? cette rage ?
Là, vous allez me dire, mais quand même, elle est un peu bête… comme si je vous parlais d’une évidence. Alors oui, il y a cette évidence. Cette colère, cette haine évidente.
Mais je veux vous parler aussi de ce qu’il y a en dessous de la haine, de ce pour quoi cette haine est aussi forte en particulier dans l’inceste.
Et ça parle du lien, du lien à l’autre, et du lien à la vie.
En effet, L’enfant vit dans l’inceste une succession de trahisons majeures :
- parce qu’ il est trahi par celui ou celle qui représente sa base de sécurité, si l’inceste a été commis par le parent. Le parent par qui la sécurité normalement se construit, permettant à l’enfant de construire sa sécurité intérieure
- Ou parce qu’il est trahi par quelqu’un avec qui il se sent en sécurité, en qui il a confiance, dans le noyau de la famille
- Une trahison majeure parce que l’enfant est trahi dans sa croyance viscérale qu’un parent, au sens premier ou au sens large du terme, ne peut pas faire de mal à son enfant
- parce que, aussi il est trahi dans sa croyance que le monde est bon et généreux, une confiance en la vie et en l’humanité.
- parce enfin qu’il est trahi dans l’intention du lien : l’enfant recherche de l’affection, de la tendresse, de la reconnaissance ; et il se trouve attaqué, utilisé et dépossédé dans son intimité.
Ces trahisons entraînent chez les enfants violentés et abusés des sentiments douloureux dont la haine, une colère viscérale à la hauteur de la trahison.
D’autres ressentis, sentiments s’y mélangent : le désespoir, la détresse, l’impuissance, la vulnérabilité, la dévalorisation.
C’est tout cela que raconte la haine, toutes ces trahisons.
Et pour aller un peu plus loin et comprendre un peu plus, Je vais m’appuyer à présent sur les propos de Bruno Clavier, psychanalyste qui a beaucoup écrit sur le sujet de l’inceste, et lui-même subi l’inceste. Alors voilà ce que dit Bruno dans son ouvrage « l’inceste ne fait pas de bruit », répondant à la question qu’il se pose lui-même sur : pourquoi ces violences de l’inceste sont aussi dévastatrices ? et donc je cite :
- « ces abus, ces viols viennent remettre en cause au plus profond de l’être la force de vie engagée dans les relations entre les êtres humains, qui s’appuie sur leur désir fondamental de jouir, de vivre, en liberté avec l’autre.
- Il précise ensuite que, dans le cas de l’inceste, « la victime est enfermée dans un conflit insoluble entre l’amour et la haine pour son agresseur. Cette violence s’empare donc de la victime et aliène ce qu’il y a de plus précieux pour un individu : sa liberté absolue, en adéquation avec son plaisir, son besoin d’amour… »
- et il dit encore « les violences sexuelles remettent en cause le principe d’existence de l’être. En conséquence, elles génèrent chez les victimes une angoisse incommensurable de mort »
Autrement dit, la haine parle donc au fond donc :
- d’une sécurité dans le lien à l’autre brisée,
- d’une confiance, d’une foi, d’un lien en la vie qui est rompu,
- et d’une cassure profonde dans le lien à soi.
Et, Je vois la haine, la rage, à la fois comme une tentative de sortie de ces ressentis très douloureux, et aussi une tentative de se garder à la surface de l’eau, pour ne pas plonger.
Ce que je nomme ici est extrêmement douloureux, et si vous vous reliez à ce que je dis, j’imagine que cela peut avoir des résonnances sur vous, comme victime d’inceste ou tout simplement comme être humain. Je vous propose à présent de prendre soin de nous, de nos systèmes nerveux et de faire une petite pause respiration.
Là, je vous propose assez simplement de lâcher le contenu, les mots, ce qui vient d’être dit, et de vous concentrer sur votre respiration ; vous allez poser vos deux mains à plat sur votre ventre. Vous allez inspirer profondément, retenir l’air, apnée quelques instants, prendre tout ce qui est lourd, contenu et soufflez fortement. Petite pause, vous récupérez. Sentez les mouvements de votre ventre. Une nouvelle fois.
Cela vous permet de réguler, et de prendre soin de vous aussi. On est aussi là pour ça ! D’ailleurs, je ferai une version plus longue pour le podcast la semaine prochaine.
Restons justement sur la lecture biologique de ce qui se passe en lien avec le système nerveux .
Celle-ci va vous donner une autre forme de compréhension, et vous amener ensuite vers le processus de voie de sortie. Je prends appui ici sur la théorie polyvagale et la lecture biologique du traumatisme. Je vous en ai expliqué les principes dans les premiers épisodes du podcast. Je vous indiquerai les références en description de cet épisode.
- Lors d’un traumatisme et notamment l’inceste, le système nerveux a disjoncté, basculant dans l’état du dorsal, un état de figement, de coupure, pour nous permettre de survivre au traumatisme. Car, à ce moment-là, il nous a été impossible de nous défendre, de combattre.
La haine est comme une tentative de voie de sortie du traumatisme
- Et c’est ici, pour moi, une première lecture biologique de la haine, ou de la rage, à savoir que la haine, la rage, est une tentative de sortie du traumatisme, une tentative de retrouver l’accès au sympathique – état de mobilisation dans lequel justement on peut se défendre. Une tentative de se défendre, de faire sortir cette colère qui n’a pas pu s’exprimer à l’époque de l’inceste. Ou qui n’a pas été entendue, accueillie pleinement.
- Mais cette rage sort de façon impulsive, réactive, solitaire, même si elle implique l’autre. Elle tourne en rond, sans lien à l’autre. Et donc elle reboucle de façon répétitive. C’est comme ça que la victime repasse sans cesse par les mêmes scénarios de haine, d’impulsion, ou de sentiment latent
la haine, rage comme protection par rapport à des ressentis douloureux, d’angoisse, d’impuissance, de fragilité et de vulnérabilité
- La haine, la rage, peuvent être des remparts pour ne pas sentir ce qui, au fond, est encore plus douloureux. Comme une forme d’agitation ++ pour éviter de se confronter à l’angoisse, à l’impuissance, la fragilité, la vulnérabilité. Toutes ces sensations d’angoisse, qui confinent à la mort et sont extrêmement effrayantes.
A un niveau plus profond, ces ressentis douloureux nous re-confrontent potentiellement à des ressentis bébé.
- En effet, Le bébé vit régulièrement des expériences de besoin, des périodes de douleurs corporelles. Il doit appeler, crier pour manifester son besoin pour avertir l’autre. Son cerveau n’étant pas complètement mature pour accueillir et supporter les émotions, il attend que le parent soulage, contienne, mette du sens. Il apprend à supporter le froid, dur… de l’absence et le chaud de la présence. Les deux polarités. Il développe sa fenêtre de tolérance des sensations et de l’inconfort. Mais parfois petit, ce seuil a été dépassé, une attente trop longue, des sensations insupportables à supporter, une impuissance à réguler les sensations. Et c’est alors que le bébé peut ressentir cette forme de rage. L’enfant a mal au ventre, c’est comme un volcan, il se sent détruit , il se vit abandonné, perdu, il a peur. Il ne se sent pas aimé. Il est seul, désespéré et il entre dans la rage . Cette construction de fenêtre de tolérance dépend des premières interactions, de l’état affectif et psychique de notre mère et de notre père. Et le point est que l’inceste nous reconnecte à cette rage première. Je reviendrai là-dessus, sur le sujet de la fenêtre de tolérance, dans un autre épisode.
Comment sortir de la haine et de la rage ?
- Pour se défaire de la haine, on aura besoin de retraverser ces douleurs de détresse, de manque et de terreur vécues dans la solitude, mais maintenant accompagnée d’un autre humain, empathique, sincère et respectueux. Pouvoir retraverser les douleurs d’impuissance, reliées à cet autre humain, pouvoir s’ouvrir à sa vulnérabilité avec l’autre.
- A un niveau plus profond, on aura besoin de panser ces blessures dans le lien aux parents, enfant et bébé.
- Ce sont tous ces endroits de dissociation à réassocier, dans un lien de sécurité à l’autre. Petit à petit, goutte par goutte, cela permettra de retrouver un lien de sécurité à l’autre, et intérieure, de soi à soi. Et c’est cette sécurité qui va permettre de lâcher cette haine.
- Ces retraversées qui se font en thérapie sont biologiques, corporelles et en lien avec l’autre.
- Et puis, et c’est un 2ème volet, La colère, oui, aura besoin d’être exprimée, entendue, que l’autre – en l’occurrence le thérapeute, puisse être là, vraiment, prenant la mesure, avec la victime d’inceste de ce qui s’est passé.
- La colère bloquée lors du trauma pourra ressortir aussi physiquement mais accompagnée et en sécurité. Et il n’est pas facile parfois que cette colère sorte, tant que elle est socialement, dans l’éducation comprimée car non autorisée.
- Cela permettra de sortir énergétiquement cette facette du trauma et se reconnecter à son bon sympathique, à ses principes de défense et à sa puissance.
- Et aussi, et c’est un autre volet, on peut s’aider par des pratiques corporelles de danse par exemple, et faire un travail corporel sur les limites, la notion d’espace, la possibilité de dire non, l’affirmation… etc . Pour moi, le travail de reconquête corporel fait vraiment partie du processus de guérison
- Ces processus sont complexes, et l’idée n’est pas de se fixer sur le fait « d’éradiquer la haine ou la rage » mais plutôt, de réapprendre à s’aimer, de développer un nouveau lien à soi, de devenir un bon parent pour soi, respectueux
Voilà c’est la fin de cet épisode, si vous avez aimé cet épisode, n’hésitez pas à le partager autour de vous et à vous abonner ; et surtout ça serait génial si vous pouvez prendre quelques minutes pour mettre 5 étoiles sur Apple Podcast ou spotify ou une autre application de Podcast, ça va aider énormément ce podcast. Merci à vous. Je vous retrouve mardi prochain pour un nouvel épisode, d’ici là, prenez bien soin de vous !