transcription
Episode 2 : La honte
Mardi dernier, j’ai entamé cette deuxième série du podcast sur les ressentis des victimes d’inceste, une série donc plus intimiste, une série qui expose un peu plus, qui rentre dans ce que la victime d’inceste vit au plus profond d’elle même.
Dans cette série,
- je vous parle de ma perception, d’un angle de perception, qui ne sera pas clairement exhaustif,
- j’ai l’intention d’amener de la compréhension, pour mettre du sens sur le vécu,
- et j’emmaillerai mon épisode d’extraits aussi de témoignages. Je vous donnerai d’ailleurs les références de ces témoignages dans la description de l’épisode.
Après avoir abordé le ressenti de la solitude, dans cet épisode, j’aborde dans cet épisode la notion de honte, qui verrouille tout, et nous laisse justement dans la solitude. La honte est très présente dans l’inceste.
- A quoi correspond cette honte ?
- Qu’est ce que cela veut dire ?
- Et comment sortir de la honte ?
C’est ce que nous allons voir dans cet épisode.
Bienvenue dans le deuxième épisode : La honte dans l’inceste : je me sens seul.e. Deuxième épisode de la 2ème série sur les ressentis du traumatisme du Podcast Traumatisme & renaissance, l’inceste, par Hélène Dujardin
Pour démarrer cet épisode, je reprendrai un extrait de l’interview de l’actrice Vahina Giocante venu parler de son livre « A corps ouverts » sur différents plateaux de média et de télévision en mars 2024. Dans son livre, elle a décidé de dénoncer les agissements de Benoit Jacquot et également de l’inceste dont elle a été victime enfant par son père entre ses 5 et 10 ans. Vahina parle de l’inceste en ces termes, et je la cite :
- “C’est très insidieux, l’inceste. Je ne peux parler que pour moi, mais entre un père et une fille, ce sont des moments de tendresse qui basculent vers quelque chose qu’on n’est pas capable de comprendre ou d’analyser avec des mots, explique-t-elle. Petite fille, à 4 ou 5 ans, on est dans la découverte, on est dans le jeu, dans quelque chose de tendre aussi, il n’y a pas de violence.”
- Donc à travers ses mots, on comprend que malgré son très jeune âge au moment des faits, Vahina Giocante ressent la honte de ne pas avoir su dire “Non”
- Et voici un extrait de l’émission « quelle époque » diffusée le 30 mars 2024 dans lequel Vahina parle justement de la honte :
https://www.youtube.com/watch?v=C7M_ICqqx4Y
4.15/4.55
Effectivement la honte dans l’inceste se retrouve à la fois
- Dans le fait de ne pas avoir su dire non
- Dans le fait d’avoir ressenti une forme de jouissance
- Dans l’impossibilité d’en parler.
La honte vient cacher de l’autre des émotions très douloureuses et insupportables, c’est ça la honte, de ne pas vouloir être vu dans ces émotions là par l’autre.
Si je reprends les formes de honte pour expliquer un peu plus, et d’abord la honte dans le fait de ne pas avoir su dire non. Qu’est ce qui fait qu’on ne peut pas dire non ? Qu est ce qui explique ça ? qu’est ce qui se passe exactement
Pour comprendre, il faut évoquer le lien et les repères :
- Alors, d’une part, il y a le lien entre l’agresseur et la victime, avec la façon insidieuse dont cela arrive. La confusion entre ce que recherche l’enfant : le lien, l’affection, le jeu. Et la perversion de l’agresseur qui commet l’acte de l’inceste. L’enfant demande du lien, et l’agresseur répond par une agression. C’est précisément la confusion des langues dont j’ai parlé dans le hors série sur la définition de l’inceste
- L’enfant construit ses repères, avec l’adulte, c’est l’adulte qui donne la norme, l’enfant ne peut alors pas véritablement comprendre ce qui se passe lors de l’inceste, ne peut pas le nommer, n’a pas tous les repères non plus.
- et Il y a une forme d’emprise dans le lien. Je reviendrai là-dessus dans mon prochain épisode sur la culpabilité. Honte et culpabilité sont très reliées.
- Et puis, physiologiquement, le corps comprend et vit un grand danger. il bugge, disjoncte pour supporter ce qui est insupportable, comme je l’ai expliqué dans la première série de ce podcast. La victime se retrouve comme un lapin dans les phares de la voiture. J’ai retrouvé cette expression que j’emploie aussi dans le témoignage de Corinne Masiero dans le document « l’inceste, le dire et l’entendre » diffusé sur France 3 en 2022, et réalisé par Andréa Rawlins-Gaston.
- Et donc dans ces cas là, il est tout simplement impossible d’avoir accès à ces réflexes de défense. C’est la sensation d’impuissance. Et finalement ce que l’on prend pour de la passivité est en fait de l’impuissance dans la situation
Deuxième facette très forte de la honte, ce sont les sensations physiques de jouissance.
Vahina a ses mots dans son livre : « mon premier orgasme je l’éprouve sous les doigts de mon père, à l’âge où on joue à la dinette »
Voilà ce que Vahina en dit
5.17/5.46
- La honte est donc le fait d’avoir ressenti ces sensations physiologiques de plaisir qui sont de l’excitation mécanique, d’autant plus que le corps chez les enfants est très excitable.
- Pour Bruno Clavier, psychanalyste qui a énormément travaillé sur le sujet de l’inceste, et sur le transgénérationnel, L’agresseur kidnappe le plaisir de l’enfant. Entre le bourreau et la victime, il va y avoir des rapports de désir, plaisir, honte et culpabilité. Cela devient irrésistible, comme, dit il la souris fasciné par le serpent. La victime est excitée par le prédateur car c’est un être humain et les êtres humains sont des êtres de désir.
Et troisième facette de la honte : la honte amène à ne pas dire, ce qui amène encore plus de honte
https://www.youtube.com/watch?v=4f2sCzpRkkg
2.01 / 2.30
- Ce sont les mots de Laure, victime d’inceste par son père.
- La honte, ce sont les émotions trop fortes qu’il faut contrôler, cacher, pour ne pas que ça se voit à l’extérieur : une forme de défenses par rapport à vos sentiments les plus sensibles.
- La honte se caractèrise par une croyance, celle d’être une mauvaise personne. Cette émotion est le résultat d’une perception faussée de soi selon on est sans valeur, ou défaillant.
- Alors comment cela se construit-il ? Pourquoi la honte est-elle si omniprésente ?
- Les enfants dépendent entièrement de leurs parents pour se sentir en sécurité et en lien avec le monde extérieur.
- Dans le cas de l’inceste, il y a un conflit majeur : votre pulsion biologique de rechercher le contact avec la personne à l’origine même de la terreur à laquelle vous essayiez d’échapper.
- La honte se noue ici à la culpabilité : la culpabilité est un lien direct avec la logique de l’enfance – les enfants se mettront à imaginer qu’ils sont de mauvais enfants face à leurs bons parents et éviteront ainsi de se confronter à la terrifiante réalité qu’ils sont en fait de bons enfants tributaires de mauvais parents. C’est donc l’enfant qui se sent mauvais dans ce qui se passe avec l’inceste. A la fois si le parent est l’agresseur mais aussi en tant que figure d’attachement. Je détaillerai cela dans une série sur les liens.
- Lors de l’inceste, l’enfant ressent du plaisir, en même temps, qu’il ressent que cela n’est pas tout à fait normal. Il peut alors se sentir perturbé, mal à l’aise et donc s’attribuer la cause de ce malaise, Et c’est tout ce vécu, ce malaise, cette perception de soi altéré qui reste compact à l’intérieur de soi dans la honte
Apportons à présent une lecture biologique de ce qui se passe :
- La honte correspond à un état qui prend la personne tout entière, elle est très envahissante, elle correspond au vécu profond du traumatisme, dans toute son impuissance. On dit dans ce cas qu’on est amalgamé avec le ressenti, que cela nous prenne tout entier.
- La personne colle à son ressenti, sans en avoir de discernement, avec un profond repli sur soi, avec la peur que l’autre la voit et surtout la juge.
La honte s’organise ensuite dans des mécanismes de survie
- Elle peut par exemple prendre la forme d’un perfectionnisme. Agir, être irréprochable, parfait, pour compenser ce ressenti, pour contrôler ce qui se passe à l’intérieur de soi et ne pas montrer, gérer tout seul tout en cachant ses véritables sentiments
- Elle peut prendre la forme d’une forte autocritique, un critique intérieur. C’est l’ énergie de défense qui n’a pas pu se manifester vers l’extérieur, l’agresseur, et qui se retourne contre soi.
Alors, comment sortir de la honte ?
- Vous l’avez compris, ce ressenti de honte nous replie sur nous meme, la honte est très intérieure, profonde, verrouille beaucoup, enferme le traumatisme
- Sa sortie passera par la possibilité d’une confiance suffisante en l’autre, au thérapeute en face à face, en groupe, ou par le biais d’association, pour pouvoir s’en ouvrir. Et commencer à dire, s’exprimer. Et déjà nommer « j’ai honte » pour pouvoir dire ensuite, exprimer ce qui est honteux pour soi. Cela permettra de se décoller de la honte, pour pouvoir la voir et mieux la comprendre. C’est le lien à l’autre, le dévoilement à l’autre, dans un cadre de sécurité, qui va permettre à la honte de se montrer, de se nommer.
- Et, à partir de là, la personne pourra cheminer vers la reconstruction de son identité, retrouver sa dignité d’être humain psychique, sa dignité corporelle
Voilà c’est la fin de cet épisode, si vous avez aimé cet épisode, n’hésitez pas à le partager autour de vous et à vous abonner ; et surtout ça serait génial si vous pouvez prendre quelques minutes pour mettre 5 étoiles sur Apple Podcast ou spotify ou une autre application de Podcast, ça va aider énormément ce podcast. Merci à vous. Je vous retrouve mardi prochain pour un nouvel épisode, d’ici là, prenez bien soin de vous !
https://www.youtube.com/watch?v=wF5AYhLhRJk
Corinne Casiero
Inceste : Corinne Masiero témoigne – 9h10 – L’invité de Sonia Devillers, en septembre 2022