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Episode 2 : La réalité neuro-biologique du traumatisme : quand le corps disjoncte pour survivre
Dans le 1er épisode sur les mécanismes du traumatisme, j’ai abordé la réalité physiologique du traumatisme. Ce 2ème épisode complète le premier, en abordant ce qui se passe au niveau neuronal et biologique. C’est ici que je vais aborder l’organisation du cerveau, et le circuit de la peur ! Nous allons relier ici la réalité physiologique du corps avec l’émotion de la peur. Personnellement, en découvrant ces notions, j’ai mieux compris, cerné la réalité « viscérale » de la peur, celle qui nous dépasse, nous tétanise, qui est plus forte que nous, qui nous « prend complément » aussi.
Bienvenue dans le deuxième épisode : La réalité neuro-biologique du traumatisme : quand le corps disjoncte pour survivre au traumatisme de l’inceste. Deuxième épisode de la série sur les mécanismes du traumatisme du Podcast Traumatisme & renaissance, l’inceste, par Hélène Dujardin
Alors, pour cerner ce qui se passe quand nous éprouvons de la peur, commençons par comprendre comment se structure le cerveau. Pour cela, je vais m’appuyer sur la théorie des 3 cerveaux de Mac Lean, théorie que Mac Lean a développé à la fin des années 50. Vous avez peut-être déjà entendu parler du cerveau limbique ? du neo-cortex ? eh bien, nous y sommes, c’est de cela dont il s’agit.
Pour vous en dire un peu plus :
• Mac Lean « invente » en quelque sorte un cerveau en 3 parties, marquant les stades de l’évolution des espèces. Ces cerveaux sont étroitement interconnectés, tout en ayant leur propre intelligence, mémoire, fonction motrice etc…
• Le cerveau le plus primitif : c’est le cerveau reptilien. Celui-ci gère les comportements de survie, les comportements automatiques, vraiment caractéristiques de l’espèce. Les vertébrés primitifs ne possèdent que cette structure. Cette zone interne « tronc cérébral » contrôle plusieurs fonctions vitales comme la respiration, le rythme cardiaque, la motricité…
• Puis, arrive le cerveau limbique. Il est responsable du contrôle des émotions et des motivations. On retrouve cette partie du cerveau, étroitement liée au système olfactif, chez la plupart des mammifères, même les plus primitifs, comme les marsupiaux, les insectivores ou les rongeurs
• Et enfin le néocortex. Il est développé essentiellement chez les mammifères les plus évolués comme les carnivores, les ongulés et les primates. Ce cortex a dû se plisser pour augmenter sa surface : les replis ainsi formés ou circonvolutions sont donc un signe d’évolution . Le néocortex est le siège de la plupart de nos fonctions mentales, comme le langage par exemple. Grâce à sa partie frontale il est le cerveau de l’anticipation, du choix face à une stimulation du monde extérieur.
Mais alors que se passe-t-il quand on a peur ?
La réponse émotionnelle est contrôlée par le système limbique.
Et la structure principale qui est en jeu est l’amygdale. L’amygdale contrôle l’expression des réponses émotionnelles. Et chose importante : elle est aussi le siège de la mémoire émotionnelle. Et cela va être crucial pour comprendre ce qui se passe dans un traumatisme.
C’est Joseph Ledoux, chercheur neurobiologiste à l’université de New York qui nous a permis de comprendre le rôle de l’amygdale.
• Il a développé la théorie du circuit de la peur, en 1997.
Alors qu’explique cette théorie ?
• Le chercheur distingue deux voies face à une peur, une voie courte dite basse et une voie longue dite haute de réactions.
• La voie courte qui court-circuite le cortex (siège des fonctions mentales si vous m’avez bien suivi). Un stimulus sensoriel – la perception du danger – arrive au thalamus. Le thalamus est la porte d’entrée sensorielle du cerveau et un centre de relais (toutes les fibres nerveuses sensitives ascendantes font synapse dans le thalamus). Cela va directement activer l’amygdale qui reconnaît la situation de danger, l’amygdale « s’allume » et va permettre de réagir (réponse émotionnelle) avant même que le danger soit perçu par le cortex. Ça c’est la voie courte, dite basse.
• la voie plus longue réassocie le cortex : Cette voie va permettre une analyse de la situation :
o en traitant les informations sensorielles
o et en comparant la situation à “une banque de données » de souvenirs issus d’expériences affectives et d’apprentissages grâce à l’hippocampe (petite structure cérébrale, siège de la mémoire explicite, partie consciente de la mémoire et de l’analyse du contexte et de l’espace).
• Cette voie va permettre d’affiner, de moduler et d’atténuer l’activation de l’amygdale et des réponses émotionnelles. Ou au contraire de les maintenir si nécessaire.
Pour illustrer par un exemple, et peut être permettre de mieux comprendre ce que je viens d’expliquer. Prenons l’exemple que donne Joseph Ledoux lui-même pour illustrer sa théorie. Il s’agit de l’exemple du serpent. Cet exemple me parle bien puisque j’ai moi-même croisé récemment en randonnée une vipère. Que se passe t il quand le promeneur marche dans la nature et voit ce qu’il croit être un serpent
• La voie courte, dite basse, se met en action : elle active un sursaut et un recul de frayeur. Nous sommes saisis. La vue de ce qu’on croit être un serpent active notre thalamus, porte d’entrée sensorielle, et relais jusqu’à l’amygdale qui s’active pour produire cette réponse émotionnelle, le sursaut et la frayeur. Tout cela est instinctif.
• Par la voie longue, après un petit temps, l’information arrive au cortex notamment visuel. Le cortex prend le temps de traiter visuellement l’information, de faire un comparatif avec la banque de données de souvenirs grâce à l’hippocampe (ai-je déjà croisé un serpent ? que s’est il passé ? qu’est ce que je connais du serpent ? que faire si je croise un serpent ? etc….) S’il s’agit bel et bien d’un serpent, le cortex visuel renforce l’action amygdalienne et maintient les réponses corporelles. S’il s’agit d’un bâton, l’action amygdalienne est freinée et les réponses corporelles s’estompent.
• L’action amygdalienne a un rôle de survie : il vaut mieux prendre le bâton pour un serpent et agir en toute sécurité plutôt que de risquer de prendre un serpent pour un bâton. C’est donc la voie basse qui prime lors d’un danger.
La réponse émotionnelle va enclencher différents réactions :
• La sécrétion de noradrénaline et adrénaline : qui permet d’activer la branche du sympathique qui prépare à l’action
• Puis une libération du cortisol dans un deuxième temps
• Enfin une activation du circuit de la motivation avec la sécrétion de dopamine.
• Avec une réponse comportementale associée : combat, fuite, immobilisation. nous avons déjà abordé cela dans le premier épisode.
Le but est de résoudre une situation stressante voire menaçante pour un retour au calme. Ainsi La mémoire émotionnelle de l’événement est intégrée par l’hippocampe, transformée en mémoire explicite autobiographique et en expérience, elle peut faire partie des apprentissages.
Ça, c’est quand le danger a pu être traité, et le retour au calme se faire.
Petit aparté, c’est ce que j’ai vécu moi aussi, lors de ma rencontre avec la vipère, un instant figé par la situation, je me suis mobilisée pour discrètement, à pas de velours, fuir la situation et m’en éloigner. Et ainsi vivre un retour au calme. Tout en ayant une partie de mon signal d’alarme allumé, puisque je pouvais tout aussi bien faire une autre rencontre hasardeuse. Ma mémoire explicite a enregistré cela.
En revanche, si j’avais été piqué par la vipère, il en aurait été tout autre. Cette petite histoire me permet d’introduire, ce qu’il se passe lors d’un traumatisme. Et beaucoup plus tragiquement celui de l’inceste.
L’inceste produit une effraction psychique. Il terrorise, il est inconcevable pour notre psychisme, incompréhensible. Les certitudes de sécurité, de possibilité de lien, d’affection… toutes ces certitudes acquises s’effondrent. Echapper à la situation n’est pas possible. D’autant plus si l’inceste concerne la figure d’attachement, donc les parents. Ou si l’inceste a lieu au sein de la maison familiale, perpétré par un de ces membres, comme un membre de la fratrie. Le sentiment d’impuissance est donc total.
Je vous décris ce qui se passe à l’intérieur de la personne. Et vous détaille et explique ensuite après les phases
• Lors des agressions, la voie basse de la personne victime d’inceste est activée, l’amygdale est activée. La voie haute s’active ensuite mais ne peut pas se moduler, le danger est trop grand. la modulation, atténuation de l’amygdale ne peut pas avoir lieu comme habituellement, le cortex est mis hors service, l’accès à l’hippocampe pour comparer la situation avec les souvenirs ne peut pas se faire. Il n’y a pas de sortie ou maîtrise du danger. La victime est saisie par le danger, et obligé de subir ce danger dans un effroi et une grande impuissance. Tout cela dans un état de confusion, puisque l’agression se fait par une personne qui est censée être aimante, apporter du soin, de la sécurité, du lien etc…
1ère phase :
• L’amygdale reste activée, la réponse émotionnelle reste maximale : production de cortisol importante, activation du sympathique avec production d’adrénaline
• Le système est en sur-régime, mais sans action possible. Autrement dit, le système turbine à fond pour s’activer, se mobiliser et sortir de la situation. Partir, se défaire de l’agression. Mais cela est impossible.
• Cela entraîne un état de stress extrême, de survoltage (tachycardie, sueurs, tremblements, vertiges, angoisse +++). Les taux élevés d’adrénaline et de cortisol deviennent carrément toxiques : possibilité d’infarctus du myocarde, atteinte des cellules nerveuses avec risque de mort neuronale, possible atteinte de l’immunité.
2ème phase :
• Il y a donc un risque vital pour l’organisme. Par protection, le circuit disjoncte, les appareils sont déconnectés et donc PROTÉGÉS mais ils arrêtent de fonctionner.
• l’amygdale « s’éteint » malgré le traumatisme qui se poursuit. l’état de stress s’apaise, l’état de mobilisation n’est plus stimulé, il n’y a plus de souffrance psychique ni physique grâce aux endorphines qui provoquent une analgésie.
• Mais cette déconnexion, mode de survie pour survivre au traumatisme, a un coût, plusieurs coûts même.
• En effet, comme L’amygdale est déconnectée du cortex associatif, le cortex associatif ne va plus recevoir d’information émotionnelle. Les stimuli traumatiques vont continuer d’arriver via le thalamus au cortex sensoriel, ils vont être traités par le cortex associatif mais sans connotation émotionnelle, sans souffrance psychologique, sans souffrance physique, ce qui va donner une impression d’étrangeté, d’irréalité, d’être spectateur de ce qui nous arrive, de voir un film, de confusion, de dépersonnalisation : c’est le phénomène de dissociation.
• Et plus l’amygdale est également déconnectée de l’hippocampe qui ne va plus recevoir le contenu de la mémoire implicite émotionnelle. Cette dernière ne pourra pas, soit totalement, soit partiellement, être transformée en mémoire déclarative autobiographique et affective. Et c’est là qu’on comprend le principe de l’amnésie traumatique partielle ou totale. Je reviendrai dans le prochain épisode sur la mémoire, les bugs de mémoire lors d’un traumatisme et la mémoire traumatique.
La déconnexion de l’amygdale entraîne un arrêt du risque vital et une analgésie émotionnelle et physique au prix donc de symptômes dissociatifs importants et de troubles de la mémoire.
Il est important de comprendre que ces réactions neuro-biologiques sont des réactions normales du corps, du cerveau, des mesures de protection ultime pour nous maintenir en vie. Des réactions normales face à des agressions, menaces anormales. Cela nous a permis de nous préserver, en tout en nous dissociant de nous-même, de la réalité.
En résumé, nous avons découvert dans ce deuxième épisode :
• Que le cerveau se découpe selon Mac Lean en 3 parties: le cerveau reptilien primitif, le cerveau limbique, responsable du contrôle des émotions, et le néocortex.
• Que le circuit de la peur, s’organise en une voie basse, rapide, avec l’amygdale et une voie haute plus lente associant le cortex.
• Que le traumatisme court circuite la voie haute, et fait disjoncter la voie basse pour nous maintenir en vie, ou plutôt dans une mode de survie, en fait, une dissociation
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Voilà c’est la fin de cet épisode, si vous avez aimé cet épisode, n’hésitez pas à le partager autour de vous et à vous abonner ; et surtout ça serait génial si vous pouvez prendre quelques minutes pour mettre 5 étoiles sur Apple Podcast ou spotify ou une autre application de Podcast, ça va aider énormément ce podcast. Merci à vous. Je vous retrouve mardi prochain pour un nouvel épisode, d’ici là, prenez bien soin de vous !