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Episode 1 : la physiologie du traumatisme : comment notre corps s’adapte pour faire face au danger ?
Cet épisode est le premier d’une série sur les mécanismes du traumatisme, et plus particulièrement le traumatisme de l’inceste. Vous ressentez un fond d’angoisse, d’inquiétude permanente ? Vous vous sentez peut-être comme anesthésiée ? coupée de vos sensations ? parfois même coupée de la réalité, vivant en quelque sorte dans une bulle ?
Cette série vous aidera à mieux cerner ce que vous vivez et vous permettra précisément de mieux comprendre à quoi correspondent ces réactions physiologiques: ce sont des réactions du corps normales face à une situation anormale de danger. Nous parlerons ici notamment de notions de système nerveux autonome, de neuroception, de réactions de survie, de nerf vague.
Bienvenue dans le premier épisode : la physiologie du traumatisme : comment notre corps a dû s’adapter pour faire face au danger de l’inceste? Premier épisode de la série sur les mécanismes du traumatisme du Podcast Traumatisme & renaissance, l’inceste, par Hélène Dujardin
Avant de comprendre la réalité physiologique du traumatisme, reculons d’un pas, et voyons à quoi correspond un traumatisme.
Pour cela, prenons le DSM, qui est le manuel de référence de classification des maladies mentales, manuel publié par l’association américaine de psychiatrie.
Alors, comment le DSM définit le traumatisme ?
Pour le DSM, en l’occurrence IV, les traumatismes sont « des troubles présentés par une personne ayant vécu un ou plusieurs événements traumatiques ayant menacé son intégrité physique et psychique ou celle d’autres personnes présentes. Ces événements ont provoqué une peur intense, un sentiment d’impuissance ou d’horreur. Et la personne a développé des troubles psychiques liés à ces traumatismes ».
Donc, un traumatisme signifie qu’il y a eu une menace, vécue comme un danger de mort, avec une impossibilité d’y faire face. C’est ça, le traumatisme, le danger de mort avec l’impossibilité d’y faire face, l’impuissance.
Ce traumatisme de l’inceste est une effraction d’autant plus violente qu’elle est intentionnelle, interpersonnelle et elle a lieu au sein du cadre familial. ce cadre familial est justement censé représenter le lieu même de la sécurité. C’est au sein de la famille, des liens premiers que la personne construit normalement sa sécurité émotionnelle et relationnelle qui lui permet d’être apaisé petit et lui permettra de vivre ensuite avec ce sentiment de sécurité.
C’est dire l’impact du traumatisme de l’inceste. Je reviendrai sur cet aspect dans une autre série du podcast.
Mais alors que se passe-t-il quand nous vivons ces événements traumatiques ?
Nous, êtres humains, mais aussi l’ensemble des êtres vivants, pilotons notre sécurité et donc notre survie, grâce à ce que l’on appelle – la « neuroception »
Alors qu’est ce que la neuroception ?
Il s’agit de notre capacité de sentir « viscéralement », si nous sommes en sécurité ou en danger dans notre environnement et dans nos relations interpersonnelles. Nous faisons instinctivement, sans même en avoir conscience. Et cela se fait par l’intermédiaire du système nerveux automome.
Concrètement, par exemple, si nous sentons une odeur de brûlé dans notre maison, dans notre appartement, notre alarme intérieure se met en route, nous avons la mémoire de cette odeur, savons qu’elle peut correspondre à un possible danger, celui du feu. et nous nous précipitons pour vérifier si justement ne s’agit pas d’un feu. Pour voir en quelque sorte si nous sommes en danger.
C’est ça la neuroception : des capteurs qui nous permettent d’évaluer notre sécurité ou un éventuelle danger, de façon à pouvoir nous remettre en sécurité.
Et c’est donc le système nerveux autonome qui pilote cette neuroception.
Le système nerveux autonome, kesako ? qu’est ce que c’est ?
Le système nerveux autonome permet la régulation de certains processus physiologiques, comme la tension artérielle et le rythme de respiration. il fonctionne automatiquement (de façon autonome, d’où ce nom de système nerveux autonome), sans effort conscient d’une personne.
Le système nerveux autonome c’est la partie du système nerveux qui est liée aux organes internes, y compris les vaisseaux sanguins, l’estomac, les intestins, le foie, les reins, la vessie, les organes génitaux, les poumons, les pupilles, le cœur, ainsi que les glandes sudoripares, salivaires et digestives. C’est tout ça, le système nerveux autonome.
Alors, ce système nerveux autonome est divisé, s’organise en deux parties principales :
• Dite Orthosympathique dite également sympathique
• Et une autre appelée Parasympathique
2 voies en quelque sorte.
Le sna est organisée, s’occupe de gérer notre survie et nos réponses de stress, il s’occupe de nous maintenir en vie quand notre vie est en danger.
On l’a vu, avec la neuroception, quand notre système nerveux scrute ce qu’il se passe autour de nous, de façon binaire, il perçoit de la sécurité ou du danger. Un système de réponse se met en route avec 2 réponses possibles :
• 1ere réponse : Si votre système nerveux autonome détecte un danger, à ce moment là, il envoie un ordre de « mobilisation », votre rythme cardiaque s’accélère, votre respiration aussi. De l’adrénaline et du cortisol sont sécrétés. Du sang afflue vers les muscles. Vous vous préparez pour faire face à la menace en répondant par la fuite ou le combat. Là, C’est la branche du sympathique qui est en action ici.
Pour reprendre notre exemple de l’odeur du brûlé, la mobilisation vous amène à vous rendre dans la cuisine, vous êtes mobilisé par rapport au danger de l’odeur du brulé, là, vous vous apercevez que le plat est en train de brûler. Vous éteignez la plaque de cuisson. Et vous pouvez vous détendre à nouveau. C’est ensuite le retour à la sécurité. La branche du parasympathique, la voie de la détente, s’enclenche à nouveau
• Quand votre système nerveux détecte que le danger est trop grand, que vous n’êtes pas en capacité de combattre ou de fuir, à ce moment là, une 3eme réponse se met en place : c’est l’immobilisation. dans cet état, notre rythme cardiaque, tension corporelle et température diminue, et des endorphines sont libérées pour atténuer la douleur, il se produit une forme d’analgésie, nous ne sentons plus la douleur, et nous faisons le mort, nous sommes comme mort.
Dans notre exemple de l’odeur du brûlé, si vous vous rendez dans la cuisine, et que vous vous apercevez que la cuisine s’embrase. Il se peut que vous soyez comme tétanisé, choqué par la situation, perdu sans savoir quoi faire.
Illustrons ce principe avec une autre image que je trouve très parlante, celle de la savane
• Imaginez une antilope dans la savane, d’un coup, elle voit une lionne qui arrive en courant vers elle. Son système nerveux a détecté un danger de mort et se met en action : l’antilope se mobilise – c’est l’état du sympathique, elle essaie, en première stratégie de fuir.
• Mais, elle se rend compte que la lionne va la rattraper, alors, elle s’immobilise. C’est la deuxième voie face à un danger, le figement. Elle fait la morte. C’est la stratégie de la dernière chance. Il arrive alors que la lionne laisse l’antilope – désintéressée d’une viande « morte », qui pourrait donc être avariée – et s’en va. L’antilope, elle, produit une analgésie : elle ne sentira rien si elle se fait tuer par la lionne. L’antilope reste inerte sur le sol. Et ensuite, elle se met à trembler pendant de longues minutes et puis se met à courir.
• Dans l’exemple, on l’a vu, l’antilope se mobilise quand elle court pour fuir le danger : elle est dans l’état du sympathique. Puis, bascule ensuite dans l’état du dorsal, nous reviendrons là-dessus, immobilisée. Elle fait face à un danger de mort, sans capacité de le combattre. Et c’est ça le figement, le choc du danger de mort
• Mais, en tremblant, elle régule naturellement et sort du figement, ce qui lui évite d’être traumatisée, et que la sensation de figement s’inscrive corporellement, signature du traumatisme.
Contrairement à l’antilope, l’être humain reste dans le figement qui se prolonge de façon anormale. Il reste bloqué dans l’impuissance, il ne parvient pas à sortir du figement et à réagir. Et donc, Le traumatisme est alors comme « inscrit dans la mémoire corporelle ».
Pour aller un peu plus avant, dans la compréhension, j’aimerais à présent vous parler de Stephen Porges
Stephen Porges est un docteur en neurosciences qui a fait des recherches sur le nerf vague. Peut etre que vous avez déjà entendu parler du nerf vague, notion un peu à la mode actuellement. Il a publié le fruit de ses recherches en 1994 à savoir la théorie polyvagale. Son apport est capital pour comprendre le traumatisme et son impact corporel.
Alors, voyons tout cela.
• Pour le moment, nous avons vu que le système nerveux autonome a 2 branches : une branche orthosympathique dit sympathique, qui est la voie de la mobilisation et la branche parasympathique, la voie de la détente
• Qui dit, théorie polyvagale, dit nerf vague. Au niveau physiologique, le nerf vague est un des douze nerfs au niveau du crane, qui émergent directement du tronc cérébral. Il est dit « vague » parce qu’il se balade (ou vagabonde) un peu partout entre notre tête et notre abdomen. Il a des fonctions physiologiques nombreuses et variées, avec des implications sur le rythme cardiaque et respiratoire, la digestion, la régulation de la sécrétion de plusieurs glandes et même un rôle dans les réactions (anti-)inflammatoires et immunitaires. Bref, il est essentiel à notre survie d’un point de vue végétatif.
• Ce qui est nouveau, c’est que Porges distingue deux branches du nerf vague relié à la branche de la voie parasympathique : la branche dorsale, et la branche ventrale (ventral signifiant « à l’avant » et non « dans le ventre »). L’état du dorsal correspond à l’état de figement que l’on vient d’évoquer avec l’exemple de la gazelle. Et l’état du ventral intervient dans les moments de sécurité, dans les moments de connexions sociales
• Avec la découverte de Stephen Porges, on comprend que l’état de détente est reliée au sentiment de sécurité. Et que ce vécu de détente se fait dans le lien : que ce soit à l’autre, ou à l’environnement autour de nous. Stephen Porges nomme cet état du ventral un « Système d’Engagement Social », comme une « connexion visage-cœur ». Nos expressions faciales, le ton de notre voix, notre regard et notre ouïe vont nous mettre en lien avec l’autre. L’état de ces parties va influencer notre état émotionnel. Je reviendrai sur le sujet des liens dans une autre série. A ce stade, comprenez que, dans l’état de détente, vous vous sentez relié au monde et aux autres. A l’inverse dans l’état du dorsal, vous êtes coupé du monde, et/ou des autres.
Ainsi, notre organisme passe d’un état à un autre, et cela se fait sans que nous y réfléchissions.
• Il le fait non seulement pour survivre, mais aussi pour avoir la meilleure réponse adaptée à nos besoins dans l’instant. Ainsi, nous passons d’un état à l’autre, fluide et connecté (dans l’état du ventral). Par exemple quand nous partageons un moment avec des amis.
• à l’état mobilisé, prêt à l’action (dans l’état du sympathique). Par exemple, quand nous repérons un danger, pour le fuir ou le combattre.
• L’état du sympathique peut être dit régulé. Vous vous mobilisez, dans l’action, vous activez votre énergie. Par exemple typiquement dans une activité sportive. Et peut être moi ici quand je vous partage cet épisode, avec l’envie, l’élan que mon message puisse être diffusé.
• Donc nous passons d’un état à un autre, tantot détendu, tantot mobilisé
• Le hic est quand le système reste bloqué dans l’état du dorsal, dans cet état de figement. Alors l’état du dorsal peut être lui aussi « régulé » : tout simplement, il s’agit alors de l’état de repos.
Pour résumer, il y a donc 3 états : le ventral, l’état de sécurité, fluide et détendu ; l’état de mobilisation le sympathique, l’état du dorsal, repos ou figement.
Maintenant que nous avons vu, de façon générale, ce qu’il se passe lors d’un traumatisme, essayons de comprendre plus précisément, ce qui se passe lors de l’inceste
• L’inceste est une agression terrible qui représente une menace pour l’intégrité physique et psychique de la victime. Elle vit une situation menaçante, dans une incompréhension totale
• La personne victime de l’inceste ne peut pas fuir, ne peut combattre, elle ne peut pas s’éloigner du danger.
• Cette menace pour l’intégrité physique est vécue par le corps comme un danger de mort, comme si on était confronté à sa propre mort. La réalité des mots est à la hauteur de ce qui est vécu par la personne victime d’inceste, même si pour la victime il est parfois difficile d’en prendre la mesure. Et cela fait précisément partie du traumatisme.
• Et Psychiquement, la situation est complétement terrorisante. C’est l’horreur de la situation qui amène un danger trop grand pour être supportable. Autrement, cet impact psychique représente lui aussi, un risque vital. L’agression nous sidère, nous laisse sur place, nous fige.
Effectivement, pour nous préserver, nous basculons alors dans l’état de figement : l’état du dorsal. Une adaptation du système nerveux pour nous préserver face à la menace de la situation. Un mode de survie s’enclenche, pour supporter l’insupportable et nous permettre de continuer de vivre.
Ce figement est inscrit dans le corps.
• Plus l’agresseur est une figure proche de la victime, plus le traumatisme sera important.
• Il se sera d’autant plus si cette figure est censée être une figure d’attachement, un parent (comme évoqué un peu avant, je reviendrai là-dessus amplement dans une autre série sur les liens/les relations)
• L’inscription corporelle du traumatisme sera d’autant plus importante avec la répétition
• D’autant plus importante aussi que la victime est jeune.
La victime reste alors bloquée dans l’état de figement du traumatisme : le système nerveux ne peut plus faire la différence entre le passé et le présent. La personne victime d’inceste se vit toujours dans l’état d’insécurité. Le système nerveux autonome n’arrive pas à désactiver le besoin de protection même si nous sommes maintenant en sécurité.
C’est pourquoi nous revivons dans le présent les peurs du passé : la peur d’être agressée, la peur d’être suivie dans la rue, l’état d’hypervigilance permanente, la peur du noir, la peur du soir…
Nous verrons au fil des épisodes comment réparer ces « bugs » du système nerveux, pour que nous puissions nous retrouver connecté à nous-même et aux autres, enfin à vivre au présent !
Pour résumer en quelques mots ce que nous avons vu dans cet épisode :
• Nous avons vu qu’à chaque instant, notre neuroception par l’intermédiaire du système nerveux autonome nous indique viscéralement s’il y a danger ou sécurité
• L’état de sécurité est dit « état ventral », nous sommes connectés à nous et aux autres.
• L’état de mobilisation nous permet de fuir ou de combattre le danger
• Mais que, quand le danger est trop grand, quand il est impossible de fuir ou combattre, nous passons dans l’état du dorsal, le figement.
• Et c’est ce qui se passe pour la victime de l’inceste qui vit une menace pour son intégrité physique et psychique.
Voilà c’est la fin de cet épisode, si vous avez aimé cet épisode, n’hésitez pas à le partager autour de vous et à vous abonner ; et surtout ça serait génial si vous pouvez prendre quelques minutes pour mettre 5 étoiles sur Apple Podcast ou spotify ou une autre application de Podcast, ça va aider énormément ce podcast. Merci à vous. Je vous retrouve mardi prochain pour un nouvel épisode, d’ici là, prenez bien soin de vous !